Le premier point important concernant la Ferme Ornée de Carrouges, est qu’il s’agit d’une expérience en cours, commencée en 2000, et en perpétuelle évolution.

La forme blog permet de suivre cette évolution / à partir d’un « socle » mis en ligne début 2012 et qui témoigne d’un état d’avancement et de réalisation de la ferme à cette date (après environ 12 années de travaux).

Bref historique :

Il s’agit d’une ancienne petite ferme exploitant 10 à 20 hectares (avec fluctuations au sein de la même famille ; les frères se partageant les terres selon les époques et les accords ou désaccords) polyculture, élevage de subsistance, petite économie : lait, œufs, volailles, cochon…

Le remembrement du début des années 1970 a modifié les chemins (ou routes) et supprimé environ 50% des haies.

Fin de l’exploitation en 1979, puis abandon complet des terres et de la maison d’habitation.

Nous avons acheté fin 1999 – donc après 20 ans d’abandon – environ 15 hectares divisés en deux grandes parcelles à peu près égales, composées au total de : 9 hectares d’anciennes prairies « à vache » en friche avec ronces, prunelliers, etc…quelques prairies humides (environ 4 hectares) encore « ouvertes » grâce aux moutons d’un fermier  inconnu et aux vaches du voisin, avec joncs, carex, reine des prés , populage des marais… saules et aulnes… deux grandes mares d’environ 2000 m2 chacune… le tout entrecoupé de quelques haies anciennes et bosquets (environ 2 hectares) avec frênes, saules marsaults et cendrés, noisetiers, merisiers, érables sycomores et champêtres, sureaux, houx, aubépines, rares chênes et hêtres, etc…

Nous avons passé les trois premières années à rendre la maison (toiture ruinée sans eau ni électricité) habitable, et à préparer le jardin (choix des végétaux adaptés au terroir et premiers essais en pépinière, plans, etc…).

Nous vivons donc à deux personnes (couple) sur la ferme depuis fin 2000, et dès le départ du projet, nous avons choisi d’intervenir le plus possible dans le sens de la nature (et pas contre) donc pas de nivellement au bulldozer, peu de machines, etc… Ce qui induit une progression assez lente des travaux en général.

Depuis 2002, nous plantons environ un millier d’arbres et arbustes chaque hiver. Et, pour commencer, nous avons replanté des haies (ce qui constitue l’ossature de notre jardin) afin de reformer un bocage « resserré ». 

(haies de charmes et de merisiers… plantées l’hiver 2002-2003, photo prise en 2011)

Ce qui nous conduit au deuxième point important, qui touche à la structure (et donc à l’apparence générale) de la Ferme Ornée de Carrouges : il s’agit d’un bocage jardiné, et ce pour plusieurs raisons :

–  d’abord par souci d’intégration au paysage rural préexistant

–  ensuite pour structurer le jardin : les haies sont l’ossature (l’architecture apparente qui marque les perspectives, souligne les cheminements et borne ou ouvre le paysage)

– encore les haies délimitent des parcelles qui sont autant de petits jardins avec leurs habitats particuliers pour des végétaux particuliers et/ou des pâtures pour les animaux

– enfin les mêmes haies jouent leurs rôles utilitaires : protection (terroir froid, humide et venteux), gîte et couvert pour la faune sauvage, feuillée pour les animaux domestiques, bois pour notre poêle et notre cuisinière, etc…

Le tout constitue donc un bocage jardiné (plus resserré que pour une exploitation agricole classique), à la manière d’un paysage rural « idéal ».

Le troisième point important revient à l’expérimentation , qui est le maître mot de notre démarche : dans le cadre d’un jardinage durable (ni pesticide, ni herbicide, ni engrais – autre que le fumier de cheval produit sur place – ni arrosage – à l’exception des jeunes plants nouvellement repiqués et de la serre pour lesquels l’eau de pluie de récupération suffit) nous privilégions la très grande diversité, tant végétale qu’animale.

Cet état d’esprit « expérimental » nous offre le luxe de ne pas avoir d’objectifs de rendement ni de productivité, pas plus que de critères commerciaux (par exemple, la peau des fruits peut être tachée – aucun traitement – car nous n’avons pas les contraintes de la distribution : calibre, peau lisse et brillante…).

Encore dans le même esprit, si, par exemple, nous avons de nombreuses variétés de pommes, nous n’avons que deux pieds de chaque variété (et pour certaines uniquement des cordons qui ne produisent que quelques fruits par an).

La diversité végétale, que nous mettons en avant, est construite sur des valeurs de compatibilité d’habitats et non de « traditions d’antan ». En effet, si nous avons rétabli des haies bocagères constituées des espèces locales (existantes ou « oubliées »), nous développons parallèlement des plantations d’espèces et/ou hybrides et/ou cultivars exogènes adaptées à notre terroir. Nous avons la chance d’avoir des habitats et micro-habitats favorables pour des végétaux très particuliers que nous ne nous privons pas de cultiver (qu’ils viennent de la côte nord-ouest d’Amérique, des contreforts de l’Himalaya, du Nord du Japon ou de l’Ecosse…).

Les mêmes valeurs guident nos choix quant à la diversité animale. Nous présentons, par exemple, plus de 25 races de poules, des dindes, des pintades, des faisans, des paons, des cailles… qui vivent en plein air et se reproduisent très bien. Notre dimension de Ferme Ornée nous permet d’élever des espèces « d’ornement » au même titre que celles de « rapport ».

Les aspects esthétiques et culturels, les collections botaniques et les présentations d’animaux de la ferme expliquent notre choix de « valorisation touristique » de la Ferme Ornée de Carrouges – qui se démarque ainsi encore plus nettement d’un lieu de production.

Eté 2009 : première ouverture au public. Et, depuis juin 2010 : accueil des scolaires.

Cependant, nous n’oublions pas le point central de l’état d’esprit du jardin de ferme, à savoir joindre l’utile à l’agréable. Nous vivons sur cette ferme et essayons d’atteindre  l’autosuffisance alimentaire.

Nos emplois du temps respectifs (hors Ferme Ornée de Carrouges) sont contraignants. Donc les différentes ressources alimentaires issues du jardin ou/et des animaux de la ferme ne sont pas forcément disponibles ni utilisées toutes au même instant T. Cependant, toutes ces ressources sont – ou ont été – testées en quantité et qualité au cours de ces quelques dernières années. (Pour ne pas devoir le répéter, toutes les indications ci-dessous, relatives aux quantités, se rapportent à deux personnes).

Fruits et légumes

Nous avons planté de nombreux arbres fruitiers (les plus vieux, aujourd’hui en 2012, ont 10 ans) : pommiers, poiriers, pruniers, cerisiers et quelques pêchers, compatibles avec notre terre assez pauvre et très acide, et qui, de plus, peuvent résister à des hivers très froids (- 15° C presque chaque hiver) des nuits fraîches même en été et des gelées tardives (avril et mai). 

Notre choix d’expérimentation s’est concentré sur les pommiers (fruitiers les mieux adaptés à notre terroir) et nous avons actuellement plus de 70 variétés de pommes à couteau ou/et pommes à cuire (tartes, compotes…). Ces différentes variétés ont des époques de maturité différentes s’étalant de fin juillet (pommes d’été qui ne se conservent pas plus de quelques jours) à avril-mai de l’année suivante (pommes de longue garde au fruitier à température fraîche). Parmi tous ces pommiers, une dizaine de haute-tiges (de 9 ans) produisent déjà bien plus de fruits que nous ne pouvons en manger.

Pour les hautes-tiges, après la plantation et les tailles de formation les 3 premières années, il n’y a presque plus d’entretien (sinon éclaircir, à savoir supprimer les jeunes fruits les années où il y en a trop). La production (chez nous) a été bonne dès la huitième année. 

Pour les petites formes (cordon, palmette, gobelet, fuseau…) il faut continuellement tailler : en hiver taille de formation et en juin taille « en vert » (pour supprimer les rameaux « gourmands » et permettre aux fruits de grossir et mûrir). La production est déjà intéressante (toujours chez nous) dès la troisième année.

Les pêches de vignes et la variété « Reine des vergers » donnent de bons résultats chez nous. Les pruniers (mirabelles et reines-claudes) et cerisiers donnent d’excellents résultats en général. Les poiriers aussi, à condition qu’ils ne soient pas greffés sur des cognassiers BA29 qui n’aiment pas du tout nos conditions locales (terre très acide et trop d’humidité).

De plus, les petits fruits traditionnels (groseilles, framboises, cassis, groseilles à maquereau) permettent de « boucler la boucle » et d’avoir des fruits tous les mois de l’année (avec un petit ralentissement en mai-juin).

Pour les légumes, c’est plus rapide et presque immédiat : légumes de saison (salades, radis, haricots verts…). De plus, et grâce au fumier de cheval (produit sur place par deux juments qui « fournissent » des quantités bien supérieures à celles dont nous avons besoin) nous cultivons avec succès des courges : plus de 30 variétés chaque année, dont certaines se gardent très bien pendant une partie de l’hiver (mêmes conditions que les pommes au fruitier).

Encore quelques végétaux : les noix et noisettes (noisetiers francs des haies et variétés greffées), ainsi que laurier, thym, sauge, menthe… et pour « pour le plaisir » le tilleul (dont les arbres plantés dès 2002, produisent des quantités énormes de fleurs excellentes en infusion)…

En ce qui concerne les céréales ; nous avons fait quelques tentatives, notamment labourer avec des chevaux. La charrue (vieille et rouillée, prêtée par un ancien serviable et compétent) s’est révélée peu maniable… mais la parcelle de 2000 m2 a été labourée en une demi-journée. Immédiatement, se pose le problème du matériel à traction animale : l’ancien est difficilement utilisable, et le neuf est beaucoup trop cher à notre échelle. Les investissements sont disproportionnés pour les besoins de deux personnes / même si l’on y ajoute l’avoine pour les chevaux, âne… La solution serait dans l’association, à condition de rassembler dans une même région des personnes ayant des besoins de matériel équivalents. De plus, ce sont des activités très chronophages. En conclusion : c’est possible, mais il n’y aura pas de suite, pour l’instant, à la Ferme Ornée de Carrouges.

Œufs et produits laitiers

Les volailles sont élevées et se nourrissent sur des parcours herbeux (verger hautes-tiges, et simple prairie) avec insectes, vers de terre… nous leur donnons uniquement un petit complément en céréales, ainsi que des coquilles d’huîtres pour leurs œufs (notre terre n’a pas suffisamment de calcaire). Ce qui signifie que ces volailles respectent les saisons pour les pontes. Cependant, à l’exception de la période octobre-décembre au cours de laquelle seules quelques races de poules pondent un peu, nous avons des œufs en quantité tous les jours.

Nous avons fait une tentative pour le lait avec une chèvre de race Poitevine. Le résultat est satisfaisant : de un à deux litres de lait par jour (en plus de celui que les petits tétaient) sur une période de huit mois. Excellents yaourts, fromages frais… et lait à boire.

Viande

De la même manière que pour les œufs, les conditions d’élevage et la nourriture des volailles font que, chez nous, un poulet est bon à manger (environ 1,5 kg de carcasse) à six ou huit mois selon la race, et selon la saison de naissance.

La croissance remarquable des oies et des dindes permet de produire des carcasses de 4 à 8 kg (toujours sans « vitamines » ni « compléments de croissance » autres que ce qu’ils trouvent dans la prairie).

Les pigeons fournissent, en moyenne 4 couvées de 2 petits par couple et par an. Les jeunes sont abattus à deux mois environ, quand ils sont emplumés mais avant qu’ils volent.  Et c’est très bon.

Les moutons (chez nous race Bizet originaire du Massif Central) sont très faciles à élever et se nourrissent exclusivement d’herbe. De plus, cette race très rustique se reproduit très bien.

En conclusion, tout ce petit élevage est très intéressant et fournit beaucoup de très bonnes choses à manger, saines et goûteuses ! Les seuls points sur lesquels il faut être vigilant (et qui demandent des investissements raisonnables) sont les enclos, et logements : abris pour les mammifères (notamment contre le soleil et, bien sûr, la neige et la pluie), poulaillers très bien clos (à cause du fameux renard !). De plus, et c’est obligatoire, il faut une surveillance quotidienne : eau fraîche et propre, état des clôtures et des abris…

Pour fermer ce chapitre de l’autosuffisance alimentaire, nous pouvons constater qu’après quelques années (12 ans de travaux en général et 8 à 9 ans de plantation, élevage…) la Ferme Ornée de Carrouges offre largement assez de ressources pour deux personnes. Nous estimons que les mêmes ressources gérées correctement et en continu suffiraient pour 6 personnes.

Janvier 2012. A suivre…