Le génie du lieu.

               Il s’agit de ne pas faire le même jardin partout. De la même manière que l’organisation de l’espace est en partie utilitaire, le jardin de ferme est intimement lié à son terroir.

               D’abord dans le choix des espèces, tant végétales qu’animales. Le minimum consiste à tenir compte du sol, du climat, du relief, du vent… autant de facteurs incontournables avant la seconde moitié du 20ème siècle au cours duquel la mécanisation et la chimie ont prétendu le contraire. Il est paradoxal qu’à l’époque même où l’agronomie a affirmé sa plus grande expertise (tant dans la connaissance des sols que dans l’amélioration des variétés végétales), les directions de recherches et les choix d’applications aient pu négliger à ce point les particularismes régionaux.

    Sans trop nous étendre sur ce sujet malheureux, les exemples ne manquent pas dans le monde agricole (vaches laitières incapables de marcher sous le poids de pis hypertrophiés, blés semés dans des terres à seigle ou à sarrasin, cépages de vignes taillés à hauteur « de machine »…) ainsi que les expériences de jardins nivelés à coup de bulldozer, de terre « de bruyère » importée à grands frais…

               Ensuite dans la forme ou/et le genre, le jardin de ferme se tient à l’écart des modes : « jardin français », « jardin anglo-chinois », « jardin rococo », « baroque », ou plus proche de nous, au temps des «espaces verts » pour lesquels les mêmes et simplissimes « dessins » étaient mis en oeuvre pour tous les lieux (de Barcelone à Edimbourg) un peu comme les prétendues maisons « authentiques » de nos banlieues.

    Bien au contraire, et encore dans la manière de « jardiner le paysage », l’intégration à l’environnement est primordiale. Plus qu’un simple décor (ou point de vue particulier cher aux jardins romantiques) le versant de la montagne offre un habitat naturel spécifique à certains végétaux, et le vent et le ruissellement seront les guides de l’emplacement d’une haie.

               Attention, terroir ne veut pas dire immobilisme, ni passéisme, ni « pureté indigène ». Pour tenter d’en finir avec ces idées, il n’est pas inutile de répéter une énième fois que les vignes viennent des vallées du Caucase, les poules des forêts d’Extrême-orient, les techniques de greffes des arbres fruitiers de la Rome Antique, etc, etc, etc… Sans parler des introductions « récentes » du Nouveau Monde (du maïs à la dinde) et des plantes rares venant de terres difficilement accessibles aux « chasseurs de plantes » de l’Himalaya ou des îles lointaines.